Issue de la période révolutionnaire française*, cette
opposition historique d’une droite « conservatrice », dans le
consensus avec le pouvoir, opposée à une gauche « réformatrice »,
plutôt contestataire, a, depuis, très largement servi à structurer la pratique
démocratique en occident. On assiste cependant depuis plusieurs années à une forme
d’inversion, à mon sens très idéologique, du rapport aux questions du
« changement » et de la « contestation » dans les opinions
politiques, sur la base d’un nivellement progressif du fait politique par la
montée en puissance de l’Economie.
Avec l’émergence d’une prééminence de l’Economie sur la
Politique au sein des gouvernements modernes, nous assistons à un
amoindrissement de l’opposition entre politique de droite et politique de
gauche (sauf peut-être sur les extrêmes, mais nous n’en parlerons pas ici).
L’économie est passée, dans les deux camps, au centre du discours et de
l’action, et remplace progressivement l’idéal de l’intérêt général
(« quelque chose de plus ambitieux que la somme des intérêts
individuels »), sensé être l’apanage d’un gouvernement élu, par une forme
dévoyée d’intérêt commun (conciliation des intérêts particuliers). Celui-ci ne
concernant qu’une fraction de plus en plus ténue de la population (particuliers
et grands groupes) qui concentre l’essentiel des richesses. Les principaux
représentants des deux bords politiques (en France l’UMP et le PS), étant, en
essence, issus des mêmes écoles de pensées économiques (ils sont
majoritairement formés aux mêmes endroits : L’ENA…), nous sommes depuis
pas mal d’années déjà confrontés à l’avènement de la pensée unique
néo-libérale.
Nous nous retrouvons, en conséquence, avec des représentants
politiques de gauche et de droite qui partagent les mêmes dogmes néo-libéraux
(qui ont remplacés, dans les faits, tout concept de
projet de société). Doctrine qu’ils ne remettent jamais en question : ni
sur ses fondements (puisqu’ils semblent estimer que la pensée critique ne saurait
s’appliquer à l’évidence du bien-fondé de cette analyse des rapports humains),
ni sur ses réalisations (notion de mondialisation économique que rien ne
saurait entraver, notamment).
Si les différences de programme s’atténuent sur le fond
(dérégulation des marchés et privatisation), que reste-il à nos représentants
« de gauche » pour se différencier de leurs homologues de
droite? Réponse : leur
positionnement « moral » : « Si ces salauds de
l’UMP se réjouissent de la mondialisation et font feu de tout bois dans son
application, nous à gauche, on ne le fait qu’à contre-cœur. Car si c’est un mal
nécessaire, contre lequel on ne peut rien, on va juste, éventuellement, le
retarder un peu.»
On assiste là à un premier retournement : La gauche
tente (ou plutôt serait sensée essayer) de conserver des acquis sociaux anciens
(front populaire, constitution de 46…) quand la droite cherche ouvertement à
les supprimer au nom du progrès, de la mondialisation...
La droite peut sans complexe affirmer agir de façon rationnelle,
moderne, et s’inscrire dans la marche du temps, et ce d’autant plus que la
gauche fait de même sans l’avouer. La gauche fait dés lors figure de force
traditionaliste, crispée sur ses « vieilles chimères » que sont la
sécurité sociale pour tous, la redistribution des richesses…
Second retournement, couramment
relayé dans l’opinion celui-là, celui du « tous pourris tous vendus, la
gauche n’existe plus. » Quelle serait, en effet, la légitimité de représentants
« socialistes » à prétendre monopoliser les valeurs de
« gauche », que sont le changement, la contestation et l’équité,
s’ils appliquent les mêmes recettes que leurs alter ego de droite ?
C’est ce que les militants de droite et leurs représentants
ont parfaitement compris. Si elles n’appartiennent plus à personne, autant se
servir de ces « valeurs » pour donner une patine de légitimité
sociale et de prétention à l’éthique à des mouvements qui en sont dépourvus.
Qu’on examine les prétentions à la « justice
sociale » dont Sarkozy truffait son programme pré-électoral, ou qu’on
prête attention aux revendications à la contestation « citoyenne »
des manifestants de la « manif pour tous »,
force est de constater qu’une partie des valeurs historiquement défendues par
la gauche à été récupérée, en apparence tout du moins, par le camp adverse.
La publicité avait fait de même quelques années auparavant
en s’emparant des symboles historiques de la contestation (slogans et
esthétique révolutionnaires), pour les recycler en « gimmick »
tendances** pour faire croire que consommer était un acte citoyen et
libérateur.
Néanmoins il ne faut pas tout relativiser non plus : De
même que la publicité recyclait les poncifs soixante-huitards de libération de
l’individu pour aboutir à l’effet inverse (piéger un peu plus le client dans
l’esclavage de la consommation), il y a dans la démarche de cette droite
« moderne » une contradiction dans les termes qui délégitime leurs
revendications à un « gauchisme de droite. » En effet si ces
concepts, quand ils sont employés par la majorité des représentants de gauche,
le sont désormais à tort, de façon maladroite ou parcellaire, cela ne veut pas
dire pour autant qu’ils n’existent plus. Que ce soit au regard d’une réalité
historique (luttes ouvrières et syndicales de jadis), du contexte économique
contemporain (inégalités sociales qui se creusent, perte des acquis sociaux) ou
des mouvements de gauche réellement subversifs actuels, même si moins visibles
(associations de chômeurs, altermondialisme, agroécologie…), les revendications
légitimes à la justice sociale n’ont pas disparues, loin s’en faut.
Car quand le militant de droite, fidèle à ses valeurs
anti-égalitaires, s’empare des symboles de la gauche (en croyant
s’encanailler), ce n’est pas pour demander de nouveaux droits là où il aurait
été injustement spolié, mais bien pour empêcher d’autres citoyens d’en acquérir
(« manif pour tous »), voire pour chercher, tout simplement, à
conserver ses privilèges (« mouvement des pigeons »).
Ces rebelles autoproclamés auront beau s’affubler des codes
de la gauche pour faire tendance, ou se faire croire qu’ils agissent au nom du
« peuple » (qu’ils méprisent ouvertement), le fond de leur pensée
reste le même, à savoir réactionnaire.
*Les députés favorables au maintien d'un pouvoir de veto du
Roi sur l’Assemblée Constituante se rangèrent à droite du président de
l’assemblée et leurs opposants à la gauche de celui-ci.
** Tout particulièrement dans la
grande distribution : « Il est interdit d’interdire de vendre moins
cher », « on ne fait pas la révolution sexuelle avec des préservatifs
hors de prix »…
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